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Ces critiques ont été rédigées dans le cadre de la participation de 12 membres du Scène Club du pass Culture à l'édition 2025 du Festival d'Avignon.
Après avoir découvert plusieurs spectacles des festivals In et Off, et participé à des temps de visites et rencontres, ils ont travaillé à la production d'articles autour de leur expérience, accompagnés de la journaliste Nadja Pobell.
Le metteur en scène Julien Kosellek nous plonge au cœur d’une modeste maison familiale, aux murs étroits et au mobilier sommaire. Dans cette atmosphère presque étouffante, seules quelques touches de couleur, des dessins d’enfants, un poster de Bora-Bora, laissent entrevoir de la gaieté ; ou, oserait-on le dire, une échappatoire. Ce décor, d’apparence ordinaire, devient pourtant le centre d’un combat acharné : celui d’un père qui refuse de se faire expulser de son foyer, menacé par un vaste projet de réhabilitation. C’est alors que le lichen, une espèce de champignon poussant sur des terrains désolés et des sols hostiles, va s’étendre et coloniser lentement l’atmosphère familiale.
L’autrice Magali Mougel offre aux spectateurs un récit poétique et universel. En effet, cette dernière choisit d’adopter le regard d’une fillette voyant sa famille se briser sous le poids de la lutte que mène son papa. La petite fille devient le témoin candide des ravages que les injustices sociales infligent à sa famille. Pour incarner la vision de cette enfant, trois comédiennes (Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno et Viktoria Kozlova) nous murmurent, chantent et clament un récit polyphonique. Ce choix met brillamment en scène le cheminement de pensée que l’on pourrait attendre d’une bambine : une idée en chasse une autre, une couleur devient une histoire, rien n’est encore cloisonné, le réel et l’imaginaire se mêlent, les pensées se superposent. Leurs voix, tantôt enchevêtrées, tantôt à l’unisson, parfois heurtées, parfois chorales, composent une partition qui nous entraîne de décor en décor, de figure en figure, d’un éclat d’attention à l’autre. Le fond musical participe à ce poème en rappelant que les plus faibles sont toujours perdants. Going Down Slow de St Louis Jimmy Oden, Born under a Bad Sign de Booker T. Jones et William Bell ainsi que Gimme Shelter des Rolling Stones, accompagnent l’escalade des tensions jusqu’à l’ultime silence.
Loin de céder aux dérives documentaires et sordides que pourrait inspirer une telle situation, Magali Mougel nous transporte du côté de l’imaginaire et de la poésie. Les enjeux de la réhabilitation et de l’injustice sociale ne sont pas exposés de manière frontale. Ils s’incarnent au travers du récit et se déploient dans un réseau de métaphores. Ainsi, le poster de Bora-Bora devient la seule fenêtre restée ouverte sur le rêve et l’idylle ; le pigeonnier figure une existence contrainte ; le tatouage de la professeure stagiaire, représentant Prométhée attaché et livré aux aigles, renvoie à la souffrance sans répit ; et enfin le lichen, qui se répand peu à peu dans chaque recoin, incarne la désolation et la perte. Peut-être s’éloigne-t-on trop du réel ? Si Lichen, par son rythme effréné, la densité de son récit, son intensité et ses incursions imaginaires tendent à perdre le spectateur, il n’en demeure pas moins que sa saisissante et troublante beauté l’emporte dans une réalité tragique magnifiée.
Le metteur en scène Julien Kosellek nous plonge au cœur d’une modeste maison familiale, aux murs étroits et au mobilier sommaire. Dans cette atmosphère presque étouffante, seules quelques touches de couleur, des dessins d’enfants, un poster de Bora-Bora, laissent entrevoir de la gaieté ; ou, oserait-on le dire, une échappatoire. Ce décor, d’apparence ordinaire, devient pourtant le centre d’un combat acharné : celui d’un père qui refuse de se faire expulser de son foyer, menacé par un vaste projet de réhabilitation. C’est alors que le lichen, une espèce de champignon poussant sur des terrains désolés et des sols hostiles, va s’étendre et coloniser lentement l’atmosphère familiale.
L’autrice Magali Mougel offre aux spectateurs un récit poétique et universel. En effet, cette dernière choisit d’adopter le regard d’une fillette voyant sa famille se briser sous le poids de la lutte que mène son papa. La petite fille devient le témoin candide des ravages que les injustices sociales infligent à sa famille. Pour incarner la vision de cette enfant, trois comédiennes (Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno et Viktoria Kozlova) nous murmurent, chantent et clament un récit polyphonique. Ce choix met brillamment en scène le cheminement de pensée que l’on pourrait attendre d’une bambine : une idée en chasse une autre, une couleur devient une histoire, rien n’est encore cloisonné, le réel et l’imaginaire se mêlent, les pensées se superposent. Leurs voix, tantôt enchevêtrées, tantôt à l’unisson, parfois heurtées, parfois chorales, composent une partition qui nous entraîne de décor en décor, de figure en figure, d’un éclat d’attention à l’autre. Le fond musical participe à ce poème en rappelant que les plus faibles sont toujours perdants. Going Down Slow de St Louis Jimmy Oden, Born under a Bad Sign de Booker T. Jones et William Bell ainsi que Gimme Shelter des Rolling Stones, accompagnent l’escalade des tensions jusqu’à l’ultime silence.
Loin de céder aux dérives documentaires et sordides que pourrait inspirer une telle situation, Magali Mougel nous transporte du côté de l’imaginaire et de la poésie. Les enjeux de la réhabilitation et de l’injustice sociale ne sont pas exposés de manière frontale. Ils s’incarnent au travers du récit et se déploient dans un réseau de métaphores. Ainsi, le poster de Bora-Bora devient la seule fenêtre restée ouverte sur le rêve et l’idylle ; le pigeonnier figure une existence contrainte ; le tatouage de la professeure stagiaire, représentant Prométhée attaché et livré aux aigles, renvoie à la souffrance sans répit ; et enfin le lichen, qui se répand peu à peu dans chaque recoin, incarne la désolation et la perte. Peut-être s’éloigne-t-on trop du réel ? Si Lichen, par son rythme effréné, la densité de son récit, son intensité et ses incursions imaginaires tendent à perdre le spectateur, il n’en demeure pas moins que sa saisissante et troublante beauté l’emporte dans une réalité tragique magnifiée.
Voici l’immersion dans la vie d’un jeune acteur qui saisit les opportunités dans l’espoir de faire décoller sa carrière. Dans Chinawood, Clovis Fouin livre un seul en scène où l’on reste accroché au bord de son siège tout en riant.
Clovis rêve de jouer devant les caméras. Alors, il se lance aussi dans le jeu des castings qui consiste en parti à attendre LE coup de fil, quelqu’un qui dit que VOUS avez le rôle. Et un jour, un appel inattendu : la proposition de passer le casting pour jouer dans une superproduction chinoise aux côtés de Mike Tyson et Steven Seagal. Dès lors, Clovis enchaîne péripétie sur péripétie et son rêve devient un véritable cauchemar. Ce qui devait être le rôle qui allait changer sa vie ne s’avèrera peut-être pas aussi concluant qu’espéré.
Ce que vous verrez sur scène est le résultat d’une belle rencontre entre deux artistes. D’un côté, l’acteur Clovis Fouin, interprète de la pièce Chinawood et auteur d’Ascenseur pour Pékin, une autofiction dont est inspirée sa co-écriture de la pièce avec Robin Goupil. Clovis Fouin a joué près d’une centaine de rôles divers et variés sur un plateau, sur un grand et un petit écran tout au long de sa carrière.
De l’autre côté, vous l’avez deviné, Robin Goupil, metteur en scène et co-auteur de cette pièce. Il a également mis en scène, au cours des cinq dernières années, deux autres pièces qu’il a lui-même créé : No Limit nommé aux Molières 2023 dans la catégorie « Meilleure Comédie », puis The LOOP qui a remporté le Molière 2025 de la « Meilleure Comédie ». Alors maintenant, vous êtes prévenus, à Chinawood, il y a aussi de l’humour et beaucoup de rires. Cette pièce met d’autant plus le public en immersion que quelques extraits du film China Salesman sont projetés. C’est un film dans lequel ont vraiment joué Clovis Fouin, Mike Tyson et Steven Seagal. Ces extraits amènent la touche réaliste rendant le propos de la pièce encore plus drôle. Mais cela ne suffit pas à faire un bon spectacle ! Pour cela il faut également avoir un bon jeu d’acteur. Et qui de mieux que l’auteur de l’autofiction lui-même. On le retrouve dans ce rôle de Clovis qui, pour raconter son histoire, interprète et imite d’autres personnages à la perfection avec des mimiques, des voix, des intentions distinctes et précises. Cela rend l’alternance des personnages aussi fluide et claire que le devient la pièce de façon générale.
Il y a un autre aspect important dans Chinawood qui apporte une autre singularité à cette pièce : la technique. Il ne s’agit pas de la chaise qui est l’un des seuls éléments scénographiques, et qui se suffit à elle-même. Il s’agit des éléments vidéo et photo qui sont projetés au fur et à mesure de la pièce sur un écran blanc en fond de scène. Les éléments sonores à travers les voix off des coups de fil, ont aussi une importance particulière. Ils créent une sorte de dialogue entre la régie et le comédien au plateau. Leurs présences apportent une dynamique à la pièce. Ils deviennent un outil supplémentaire sur lequel s’appuie le comédien pour propulser son jeu encore plus loin en intégrant du dialogue dans son seul en scène. Cette dynamique attire encore plus l’attention du spectateur. Le public s’en régale. C’est tout cela qui fait de Chinawood un vrai bon spectacle !
Sur un plateau circulaire et en perpétuelle rotation, Tiago Rodrigues installe une histoire à la fois intime et universelle. La Distance raconte le lien fragile et pourtant indéfectible entre un père et sa fille, séparés par des milliers de kilomètres, la Terre d’un côté, Mars de l’autre. Mais la pièce explore surtout une autre distance, plus profonde : celle qui existe déjà entre les deux personnages, dans les silences et les souvenirs.
Ce qui frappe d’abord, c’est la simplicité du dispositif. Une scène tournante, deux faces pour deux planètes, quelques rochers comme décor et surtout deux comédiens sur lesquels repose un dialogue continu : Ali, le père, et Amina, la fille, respectivement incarnés par Adama Diop et Alison Deschamps. Leur interprétation, d’une précision et d’une intensité remarquables, porte toute la pièce. Ils parviennent à faire vivre une relation complexe et contrastée faite à la fois de tendresse et de tensions et permettent au spectateur, qu’elle que soit son histoire, de s’en imprégner.
Le texte, également de Tiago Rodrigues, joue lui aussi un rôle important dans la compréhension de cette dynamique, notamment dans la façon dont il intègre un climat de nostalgie. L’écriture est utilisée afin de ne pas rejouer les souvenirs évoqués : ils sont mentionnés dans les messages audios et narrés de manière à ce qu’on les imagine comme si on les avait partagés. La scène montrant des photographies éparpillées sur le sol en est l’un des exemples les plus parlant : Ali les décrit une à une à sa fille, qui ne les voit pas. Nous sommes alors dans la même position qu’Amina, avec pour seule matière les mots qu’il prononce. La différence, c’est qu’elle possède encore dans sa mémoire quelques débris de ces instants, quand, pour nous, ces images ne prennent vie que dans l’imaginaire. Ce décalage rend ainsi palpable la menace de l’oubli et c’est justement le fait que les mots suffisent à convoquer tout un passé qui rend l’écriture si puissante.
La scénographie participe à prolonger ce travail. Les mouvements de la scène s’adaptent à l’atmosphère de la pièce : le plateau ralentit pendant les moments de mélancolie, de confessions, et accélère au rythme des disputes et des cris. Les déplacements circulaires accentuent l’idée d’orbite, de distance impossible à franchir, tout en maintenant un mouvement constant qui empêche la moindre monotonie.
Toute la réflexion sur la mémoire et l’oubli prend une résonance particulière lorsque l’intrigue se penche sur une chanson en portugais (“Sonhos” de Caetano Veloso), langue natale de la mère disparue. Cette chanson semble être l’un des piliers du lien père-fille et, quand Amina, soumise au protocole d’oubli, ne reconnaît plus ni la mélodie ni la langue elle-même, c’est tout un pan de son identité qui s’efface. On comprend alors, avec subtilité, que l’oubli n’épargne pas les savoirs “utiles” sans condition : il peut éclipser une langue, un héritage, s’il est sentimental ou trop chargé d’affect et même jusqu’au souvenir commun qui rapprochait le père et la fille. La disparition soudaine de ce lien rend la scène d’autant plus poignante et accentue encore la distance qui se creuse entre eux. C’est tout cet aspect dystopique qui renforce l’aspect dramatique ; oublier ses souvenirs, quitter la Terre pour Mars… il ne s’agit pas d’un éloignement temporaire. Il n’y aura pas de retour possible, pas de seconde chance.
La fin, sobre et inévitable, s’inscrit dans cette logique implacable. Elle ne cède pas à la facilité, et c’est sans doute ce qui la rend encore plus bouleversante.
Cette pièce ne cherche pas seulement à aborder les notions d’exil ou d’oubli : elle permet de réfléchir avec finesse, sur ce qui nous unit et ce qui nous sépare. Une fois le rideau tombé, reste la prise de conscience que les souvenirs partagés sont précieux. Les préserver devient alors une manière d’échapper à cette distance, pas toujours physique, qui peut tendre à nous éloigner des êtres aimés.
Alors qu’Éric Ruf, administrateur général de la Comédie-Française depuis une dizaine d’années, s’apprête à quitter ses fonctions, sa mise en scène magistrale du monument théâtral de Paul Claudel, Le Soulier de satin, vient couronner son mandat. Ce « drame d’amour » situé à l’époque des conquistadors et des grandes traversées maritimes raconte l’amour impossible entre Doña Prouhèze, épouse du gouverneur des Présides (interprétée par Marina Hands) et le capitaine Don Rodrigue (joué par Baptiste Chabauty).
Le récit s’étend sur quatre journées couvrant vingt années de vie et donc la mise en scène se déploie sur huit heures, de 22h au petit matin, dans le cadre majestueux du Palais des Papes lors du Festival d’Avignon (en sachant que la version originale dure onze heures). Dès les premières minutes, l’expérience est singulière. Le décor, volontairement dépouillé – quelques chaises, quelques tables – laisse toute la place au jeu des comédiens déjà présents sur scène et dans les gradins au moment de l’arrivée du public, incarnant d’emblée leurs personnages. La lumière, subtile et évocatrice, suggère des espaces et des ambiances et contribue ainsi à installer une atmosphère unique.
Le ton est donné dès l’ouverture par l’Annonceur, interprété avec finesse et humour par Serge Bagdassarian. Ses mots, proclamant que « tout doit avoir l’air provisoire, bâclé, incohérent, improvisé dans l’enthousiasme » extrait du préambule au Soulier de satin, résonnent comme un véritable manifeste esthétique. Éric Ruf assume, en effet, une mise en scène faussement simple, presque familiale, mais toujours inventive. Ce qui frappe, c’est la vitalité d’un spectacle qui ne se limite pas à la scène : les figurants se transforment en équipage, les tribunes deviennent un espace de jeu et le public est même parfois convié au chant. Cette circulation permanente crée un lien direct entre acteurs et spectateurs, rendant la représentation organique et vivante. Le comique, utilisé avec justesse, vient par moments alléger l’intensité dramatique et apporte une tendresse inattendue à l’ensemble.
L’accompagnement musical imaginé par Vincent Leterme participe aussi à la réussite de cette aventure. La présence de trois musiciens sur scène rehausse l’intensité dramatique ou comique, soutient le jeu des acteurs et, par instants, ranime l’attention du spectateur face à l’ampleur de cette épopée nocturne.
L’interprétation des comédiens est remarquable. Marina Hands livre une Doña Prouhèze bouleversante, portée par la puissance de son jeu et la profondeur de son regard. Christophe Montenez dans le rôle de Don Camille, le cousin du gouverneur, s’impose lui aussi par une justesse et une intensité rares, donnant toute sa force à ce personnage pris dans les contradictions du drame. Si une partie de la critique a pu reprocher à Éric Ruf l’utilisation de comédiens comme éléments de décor, ce choix audacieux se révèle au contraire inventif et porteur de sens. Les somptueux costumes d’époque de Christian Lacroix parachèvent l’immersion.
Certes, l’intrigue, complexe et foisonnante, sembler âpre pour ceux qui n’ont pas étudié la pièce en amont. Mais l’essentiel n’est pas tant de saisir chaque nuance que de se laisser emporter par la beauté du théâtre, la poésie du texte et la puissance des images. Comme le souligne Éric Ruf lui-même, « il s’agit moins de comprendre que de s’émerveiller ».
Quarante ans après la mise en scène d’Antoine Vitez, Éric Ruf ressuscite ce monument claudélien avec audace, sensibilité et générosité. On en ressort ébloui, reconnaissant d’avoir vécu une expérience rare et inoubliable, où le théâtre retrouve toute sa force de communion et d’émerveillement.

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